L'Héritière des Grands Maîtres de Shanghaï
"Le printemps s'est levé et descend la rivière", "Le chasseur parmi les roseaux", "Quelques fleurs sur un air de flûte", etc. Lavis d'encre ou tableaux aux couleurs légères, paysages, mais aussi fleurs, animaux, et personnages; en tout une quarantaine d'œuvres raffinées exposées du 23 septembre au 25 octobre à Paris, dans la pagode du bois de Vincennes, sur le boulevard circulaire du lac Daumesnil.
Leur auteur Deanna Gao est une jeune femme, chinoise par son père, anglaise par sa mère, qui a su assimiler totalement la peinture traditionnelle du pays où elle est née et où elle a toujours vécu, jusqu'à son départ en 1973, en pleine possession de son art.
Son premier maître a été son père, un lettré et un calligraphe de grand talent. Très tôt, lui-même, ainsi que les professeurs, ont été émerveillés par les dons de Deanna : encore petite fille elle a fait sa première exposition à Shangai, mais heureusement cela ne lui a pas tourné la tête. Pendant des années, elle s'est exercée matin et soir à tracer des pages entières d'idéogrammes, le large pinceau trempé dans l'encre de Chine esquissant avec de plus en plus de sûreté et d'aisance les gras empâtements et les fins déliés. Car la peinture chinoise est fille de la calligraphie : on "écrit" une orchidée, ou un bambou, ou un crabe. En un instant le dessin surgit sur la surface blanche sans repentir possible; aussi l'artiste se concentre-t-il longuement avant de lancer sur le paier le pinceau qui fera jaillir une fleur, un oiseau ou un visage. A nous de savoir lire ensuite cette prodigieuse perfection, ce langage du peintre chinois. "Langage, comme l'écrit Léon Vandermeersch, un spécialiste de cet art, au vocabulaire infiniment enrichi par les maîtres de la tradition, mais qui s'articule oujours sur le même alphabet d'une douzaine de procédés de maniement de pinceau."
Deanna Gao a étudié ce langage auprès des plus grands artistes de la célèbre école de Shangai comme Cheng Shifa et Zhu Jizhan. Mais c'était à l'époque où la Révolution Culturelle faisait rage; tout art traditionnel était résolument banni, ceux qui le pratiquaient s'exposaient aux pires sanctions dont la moindre était la déportation dans un village reculé où le coupable effectuait les plus durs travaux : c'est ce qu'on appelait "aller à la campagne". Aussi travailla-t-elle constamment dans la clandestinité. Ses dons étaient si évidents que les plus grands artistes se sont obstinés malgré les risques : ils ont formé cette fillette si douée ; il lui ont tout appris, lui révélant tout de leur art et de leurs techniques sans aucune réserve.
A son arrivée en Europe, le résultat de tant d'effort a ébloui les plus grands spécialistes comme le conservateur du musée Guimet à Pariset celui du British Museum à Londres. A nous de le découvrir au bois de Vincennes, dans son étonnante diversité.
Larges paysages de montagne, monochromes ou rehaussés de couleurs légères, dont Jean Paul Desroches, le conservateur de Guimet dit " La solitude des bois et des sources, la sérénité du pêcheur sur le lac sont transcrits en traits essentiels. L'encre est aisée, ses jeux infinis ; le pinceau sait être vigoureux pour évoquer les abrupts ou les arbres d'hiver, mais tendre quand il s'agit des brumes et des vagues."
Peintures de fleurs où une seule pivoine éclatante de vie reflète toute la nature, quand elle n'évoque pas une frêle danseuse. Pintures de personnages animés par la palpitation des ouleurs. Peintures d'animaux, saisis dans l'instant et qui dévoilent l'intime connaissance du mouvement et de la vie dans leur graphisme rigoureux. Toutes ces peintures, images fondamentales de la Chine, Deanna Gao les fera vivre en profondeur pour nos yeux d'occidentaux non exercés en exécutant devant le public, des démonstrations de calligraphie et de peinture le dimanche 11 et le samedi 17 octobre. Une raison de plus d'aller à la pagode du bois de Vincenes. Mais avant de vous retirer arrêtez-vous devant une des plus belles œuvres, intitulée "Penser au Pays natal" : elle a été exécutée à Hong Kong en 1974 en regardant la côte chinoise de l'autre côté de l'eau, et illustre, elle aussi, un très beau poème :
" Le bananier vert se dresse sur les côtes méridionales. Insensible au temps qui passe, voici déjà l'année nouvelle ; je m'appuie sur un rocher et contemple le rivage du Nord séparé par l'Océan, mes proches deux fois me manquent..."
A. Cognet